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164- Certains Actifs Iraniens (République Islamique d’Iran vs Etats Unis d’Amérique)

Le 14 Juin 2016, la République Islamique d’Iran a déposé une requête introductive d’instance contre les Etats Unis d’Amérique devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour des violations alléguées du Traité d’Amitié, de Commerce et de Droits Consulaires (le Traité d’Amitié) signé le 15 Août 1955 par les deux pays et entré en vigueur en 1957.

Cependant, les deux pays ont cessé d’entretenir des relations diplomatiques en 1979 suite notamment à l’attentat de Beyrouth au Liban faisant 241 morts du côté américain que les Etats Unis ont imputé à l’Iran, ce que le gouvernement de Téhéran a toujours catégoriquement rejeté. D’autres attentats auraient suivi. En 1984, les Etats Unis ont désigné l’Iran comme Etat soutenant le terrorisme, (qualification encore applicable à ce jour), avec des conséquences juridiques importantes. En effet, au plan national, les Etats Unis ont mis en place un arsenal important: 

  • La Loi Foreign Services Immunities Act de 1996 (Loi FSIA) qui privent les Etats sur la liste des Etats soutenant le terrorisme d’immunités devant les juridictions américaines dans les affaires concernant des allégations de torture, d’exécution extrajudiciaire, de sabotage d’aéronefs, prise d’otage…. Elles créent aussi une immunité d’exécution.
  • La Loi sur l’Assurance contre les Risques Associés au Terrorisme de 2002 (Loi TRIA) qui permet à toute partie ayant obtenu gain de cause dans une affaire portant sur une des matières listées ci-dessus d’obtenir des mesures d’exécution sur les actifs de la partie terroriste bloqués par le gouvernement américain.
  • En 2008 la Loi FSIA a été modifiée pour élargir les catégories d’actifs disponibles pour désintéresser les créanciers ayant obtenu gain de cause par voie judiciaire en y ajoutant tous les biens des entités propriétés de l’Etat Iranien, qu’ils soient bloqués ou non par les Etats-Unis et quel que soit le degré de contrôle exercé par l’Iran.
  • En 2012, un décret présidentiel numéro 13599 (le Décret) a bloqué tous les actifs iraniens ou contrôlés par l’Iran dès lors que ceux-ci se trouvent sur le territoire des Etats-Unis ou en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis. Les Etats Unis ont assujetti les actifs de la banque centrale iranienne Markazi aux mesures d’exécution ordonnées.
 

L’Iran affirme que ces mesures ont pour but ou pour effet d’entraver la capacité de l’Iran et des sociétés iraniennes de disposer ou de jouir de leurs biens, tant sur le territoire iranien qu’à l’étranger, notamment sur le sol Américain. Toujours selon l’Etat requérant, le gouvernement Américain, fondant ses décisions sur ces différentes législations ont accueilli et continuent d’accueillir des demandes de réparations de dommages devant les juridictions américaines en violation du principe de l’immunité de juridiction. Au moment de l’introduction de la présente instance, l’Iran avait été condamné à verser des dommages et intérêts d’un montant total de 56 milliards de dollars. Les Etats Unis avaient saisi et prévoient de saisir les actifs bloqués appartenant à la République Islamique et à certaines sociétés disposant pourtant d’une personnalité juridique distincte de l’Etat Iranien dans certaines banques situées dans différentes institutions de par le monde. Ces démarches, qui seraient en contradiction avec le principe de l’immunité de juridiction, à savoir l’interdiction d’intenter une action contre un Etat souverain devant les juridictions nationales d’un autre Etat, sont rendues possibles par la position Américaine voulant que l’immunité de juridiction et les conséquences qui en découlent ne s’appliquent pas aux Etats soutenant le terrorisme, caractérisation appliquée à l’Iran par les Etats Unis. La République Islamique d’Iran conteste avec la plus forte véhémence cette qualification.

L’Etat requérant affirme que les lois Américaines, les décisions déjà rendues, exécutées ou en voie de l’être ainsi que la position du gouvernement américain sont en violation du Traité de l’Amitié. Cet instrument prévoit notamment que chacun des deux Etats reconnaît le statut juridique des sociétés de capitaux ou de personnes formellement constituées. L’Iran soutient que les droits des sociétés et banques iraniennes ont été ou sont en voie d’être abolis par la législation américaine précitée. De plus, le Traité d’Amitié précise que chacune des Hautes Parties contractantes garantira le libre accès à la justice et autres instances administratives sur son territoire aux ressortissants et aux sociétés de l’autre Partie afin de défendre ou faire valoir ses droits dans des conditions non moins favorables que celles accordées à ses propres ressortissants ou à ceux de tout pays tiers. L’Iran note qu’en refusant à la banque Markazi et à d’autres institutions l’immunité dont elles pourraient autrement se prévaloir en vertu du droit international et du droit des Etats Unis ainsi que le droit d’ester librement en justice pour se défendre, le gouvernement américain manque à ses obligations aux termes du Traité de l’Amitié. L’instrument prévoit aussi la protection, la sécurité, la liberté de commerce, la non-discrimination ainsi qu’un traitement juste, équitable et non arbitraire des ressortissants des parties, obligations non respectées par les Etats-Unis vis à vis de l’Iran et des sociétés iraniennes.

Les Etats Unis ont soulevé des exceptions préliminaires tendant à contester la compétence de la CIJ ainsi que la recevabilité de la requête. Dans son jugement du 13 Février 2019, la Cour a accueilli une seule exception préliminaire de l’Etat défendeur et a défini les paramètres de sa compétence.

Jugement du 13-02-2019.pdf

La Cour s’est prononcée sur le fond de l’affaire le 30 Mars 2023. Elle a tout d’abord adressé les questions qui avaient été réservés dans l’arrêt concernant les exceptions préliminaires:

  • S’agissant tout d’abord de la question des immunités souveraines dont se prévaut l’Iran: la Cour note qu’elle doit au préalable rechercher si la banque iranienne Markazi  peut se prévaloir du statut de société au sens du Traité d’ Amitié. Au vu des documents présentés et pendant la période considérée, la Cour note que les actes passés ne suffisent pas à établir la nature commerciale des activités de la banque qui ne saurait donc pas être caractérisée de société au sens du Traité d’ Amitié et en conséquence la Cour ne se reconnait pas compétente pour connaître des décisions prises au sujet de ces actifs au sens de l’Accord bilatéral;
  • S’agissant ensuite de l’exception d’irrecevabilité tirée du non épuisement des recours internes soulevés par les Etats Unis: après examen des dispositions législatives, la Cour conclut que les sociétés iraniennes ne disposaient d’aucun recours efficace devant les juridictions nationales qu’elles se seraient abstenues d’employer. N’ayant aucune possibilité raisonnable de faire valoir leur droit avec succès devant les juridictions américaines, l’exception d’irrecevabilité tirée du non épuisement des recours internes ne peut prospérer.

Après avoir défini les paramètres de sa compétence et avoir examiné la recevabilité de la requête, la Cour s’est penchée sur les moyens de défense au fond soulevés par les Etats-Unis et fondés sur:

  • La doctrine des “mains propres” invoquée par les Etats Unis: la Cour indique qu’elle n’a jamais affirmé que cette doctrine constituait un principe général de droit ou faisait partie du droit international coutumier. En tout état de cause, pour que cette doctrine trouve à s’appliquer il faut qu’au moins 2 conditions soient remplies à savoir une faute ou un fait illicite commis par le requérant d’une part et un lien entre la faute et les demandes présentées par l’Etat requérant d’autre part. De l’avis de la Cour, ce second critère n’est pas rempli. La doctrine des mains propres ne saurait donc être accueillie.
  • L’abus de droit et particulièrement des dispositions du Traité d’Amitié: la Cour conclut que les Etats Unis n’ont pas démontré l’existence un tel abus.
  • La violation des dispositions du Traité d’Amitié concernant la production d’armes ou munitions ou le profit qu’une partie pourrait en tirer. Cet article ne saurait être invoqué par une partie pour justifier des mesures générales tendant à confisquer les biens de sociétés ayant une personnalité juridique propre. Le moyen de défense des Etats Unis fondé sur cet article ne saurait être accueilli. 
  • Les mesures nécessaires à la protection des intérêts vitaux et la sécurité des Etats Unis: la Cour note qu’il appartenait aux Etats Unis de démontrer que le Décret 13599 répondait à un objectif de protection de la sécurité et des intérêts vitaux américains ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. Ce moyen ne saurait être accueilli.
Après avoir rejeté les moyens de défense au fond soulevés par les Etats-Unis, la Cour a examiné les allégations de manquements aux obligations imposées aux Etats Unis dans le cadre du Traité d’Amitié qui ont abouti à des décisions de justice dont l’Iran tirent grief sur la base de l’arsenal juridique américain présenté plus haut. La Cour rappelle qu’elle n’a pas compétence pour examiner les mesures du décret présidentiel numéro 13599, ni l’affaire Peterson.


  • Sur la question de la personnalité juridique distinctes de celles de l’Etat iranien: l’Iran soutient que les Etats Unis ont fait abstraction de la personnalité juridique des sociétés iraniennes et que cela n’était pas justifié. La Cour note que Dans la présente affaire, les droits des sociétés iraniennes d’ester en justice, d’apparaître et de se défendre n’ont pas été entravés. Il ne saurait donc y avoir de déni de justice. Cependant, la question est de savoir si le fait de faire abstraction de la personnalité juridique de ces sociétés était justifié en l’espèce. La Cour a répondu par la négative en considérant que les dispositions législatives spécifiques des Lois TRIA et FSIA et dispositions spécifiques du Décret étaient beaucoup trop larges au vu de l’objectif recherché. Partant, l’application de ces mesures par les tribunaux américains est déraisonnable et a porté indûment atteinte aux droits des sociétés iraniennes. Ce faisant, les Etats-Unis ont manqué aux obligations qui leur incombaient au titre de l’article 4 § 1 du Traité d’Amitié. 
  • Sur la question du libre accès aux tribunaux judiciaires et organes administratifs américains: la Cour note que les sociétés iraniennes ont eu accès aux tribunaux et organes américains et que l’Iran n’a pas prouvé que les Etats Unis ont violé l’article 3§3 du Traité d’Amitié;
  • Sur la question de la saisie des biens des sociétés iraniennes:  les parties ne contestent pas les saisies des biens de sociétés iraniennes pour désintéresser les créanciers ayant obtenu gain de cause devant les tribunaux américains. Le désaccord se trouve sur la qualification de ces saisies dans la mesure où l’Iran considère qu’il s’agit d’une expropriation sans compensation ce qui constituerait une violation de l’article 4§2 du Traité d’Amitié. Les Etats-Unis réfutent cette qualification. La Cour note que pour être qualifié d’expropriation, il faut qu’il y ait un élément d’illicéité spécifique (déni de justice ou application d’une législation manifestement abusive). Dans la mesure où la Cour a considéré que certaines dispositions législatives des lois (articles 1610 alinéa 1 g) FSIA et 201 a) TRIA) étaient déraisonnables,  Il découle que l’application de ces articles constituaient un acte d’expropriation sans indemnisation accompli en violation de l’article 4 § 2 du Traité d’Amitié. Il n’en est pas de même pour l’application du décret présidentiel 13599 car l’Iran n’a pas étayé ses allégations d’expropriation. 
  • Obligation d’assurer la protection et la sécurité de la manière la plus constante réside dans la protection des biens contre les dommages physiques. Aucun dommage matériel n’a été rapporté. En l’espèce, la Cour conclut que l’Iran n’a pas établi de manière satisfaisante ce moyen. 
  • Sur la question de la restriction des transferts de fonds interdit par l’ article 7 § 1: la Cour estime que cet article a trait aux restrictions en matière de change ce que l’Iran n’ a pas démontré.
  • Sur la question de la liberté de commerce et de navigation protégée par l’ article 10 § 1 du Traité d’ Amitié:  La Cour estime que les activités liées au secteur financier constitue un commerce couvert par cet article. Mais pour être invocable, le commerce en cause doit s’effectuer entre les territoires américain et iranien et il doit avoir eu une entrave effective et directe entre les 2 parties au Traité. Pour la Cour, au moment où les Etats Unis ont pris les mesures contestées par l’Iran, il y avait encore des relations commerciales, même embryonnaires entre les 2 pays. Le décret présidentiel 13599 a constitué une entrave effective et directe aux institutions financières sur le territoire américain. Il en est de même pour l’article 1610 al 1 g) FSIA et 502 a) TRIA. les USA ont donc violé les obligations contenues à l’article 10 § 1 du Traité Amitié.

L’Iran a demandé à la Cour de prononcer la cessation des faits internationalement illicite. Cette dernière a répondu que les Etats-Unis ayant dénoncé le Traité d’amitié le 03 Octobre 2018, elle ne peut ordonner de telles mesures. Enfin s’agissant de la question de la réparation, la CIJ a affirmé que l’Iran était fondée à recevoir une indemnisation, mais réserve ce point pour une phase ultérieure de la procédure si les parties n’arrivent pas à trouver un accord sous 24 mois.

Jugement du 30-03-2023.pdf

Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.