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Kouadio Kobena Fory vs Cote d’Ivoire

Le 08 Novembre 2017, M. Kouadio Kobena Fory, Requérant, a déposé devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Cour), en son nom propre et pour le compte de sa femme et de ses enfants, une requête introductive d’instance pour violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 1er, 2, 3, 5, 6, 7 10, 13(2), 14, 15, 16, 17, 18(1) (2) (3), 26, et 28.

M. Fory occupait le poste de receveur-précepteur dans la Commune de Guibéroua lorsqu’un incendie dans le bureau des recettes avait eu lieu en 1995. Une importante somme d’argent avait aussi disparu. Suite à une plainte du Ministre de l’Economie et des Finances pour détournement de fonds publics, il avait été arrêté, jugé et reconnu coupable de ce chef d’accusation et condamné à purger une peine d’emprisonnement de 10 ans fermes et verser la somme de 26 Millions à l’Etat Ivoirien pour dommages et intérêts. Ce jugement de première instance avait été confirmé par la Cour d’appel de Daloa le 25 Juillet 1997. M. Fory a formé un pourvoi en cassation le 29 Juillet 1997 mais la Cour Suprême n’a jamais rendu de décision sur la question malgré toutes les démarches entreprises par le Requérant pour amener la Cour suprême à se prononcer sur son pourvoi.

M. Fory affirme qu’après avoir servi sa sentence de 10 ans, il avait de nouveau été arrêté le 31 Juillet 2005 après avoir purgé la peine de 10 ans d’emprisonnement, il a été de nouveau arrêté et incarcéré à la Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan (MACA), en compagnie d’autres prisonniers politiques, jusqu’au 1er Août 2011, lorsqu’ils ont été libérés sans jugement.

A sa sortie de prison en 2011, il a saisi le Conseil de discipline de la fonction publique pour demander son rétablissement dans ses fonctions de trésorier payeur, ce que le Conseil a refusé de faire tant que la Cour Suprême n’avait pas rendu de jugement infirmant l’arrêt de la Cour d’appel.

Le Requérant a allégué que la justice et l’administration publique ivoiriennes ont violé son droit à une égale protection devant la loi, de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même, son droit de propriété, son droit à l’intégrité physique et morale, son droit à la liberté, à la sécurité, à l’intégrité physique et morale ainsi que le droit à ce que sa cause soit entendue et le droit à un recours. Il a également soutenu que le droit à la protection de la famille et le droit au travail et à une rémunération ont également été violés.

Le 29 Avril 2020, la République de Cote d’Ivoire a déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. En rendant sa décision le 02 Décembre 2021, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration.

L’Etat de Cote d’Ivoire a soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête vis à vis de l’épouse et des enfants du Requérant, estimant que ces derniers pouvaient saisir la Cour directement. Dans une ordonnance rendue le 25 Novembre 2021, cette dernière a conclu que la femme et les enfants du Requérant pourraient être qualifiés de victimes indirectes mais que seul M. Fory réunit qualité et intérêt pour être qualifié de Requérant. En conséquence elle a donc retenu l’exception d’incompétence soulevée par l’Etat défendeur à ce sujet.

Ordonnance du 25-11-2021.pdf

L’Etat de Cote d’Ivoire a aussi soulevé une exception d’incompétence temporelle de la Cour soutenant que certaines des violations alléguées par le Requérant avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur du Protocole portant création de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (le Protocole) à l’égard de l’Etat défendeur, le 25 Janvier 2004. La Cour a donc fait une distinction entre le comportement de l’Etat Ivoirien avant et après l’entrée en vigueur du Protocole et n’a retenu sa compétence que pour les allégations du Requérant ayant eu lieu après l’entrée en vigueur de ce dernier ainsi que pour les allégations ayant un caractère continu. Il s’agit de la seconde période de détention entre Juillet 2005 et Août 2011 et du fait que la Cour Suprême n’avait toujours pas rendu de décision sur l’appel de l’arrêt du 25 Juillet 1997.

L’Etat de Cote d’Ivoire a aussi soulevé des exceptions d’irrecevabilité de la requête tirées du non-épuisement préalable des recours internes et du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable. Il a fait valoir que le Requérant qui s’est pourvu en cassation ne peut pas se prévaloir de l’épuisement des recours internes dès lors que son pourvoi est encore pendant devant la Cour suprême. La Cour de céans a considéré que dans la mesure où le pourvoi avait été formé 20 ans auparavant, l’exception d’irrecevabilité ne pouvait pas être admise. S’agissant du non-épuisement des recours internes, la Cour a conclu qu’elle ne pouvait accueillir que le moyen portant sur le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et pour lequel les conditions de recevabilité sont remplies. 

Sur ce dernier point, la Cour a noté que le Requérant a démontré qu’il avait fait tout son possible pour que son affaire soit entendue par la Cour Suprême Ivoirienne pendant 20 ans. La négligence de la juridiction constitue une violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable en violation de l’article 7(1)(d) de la Charte.

Enfin la Cour a condamné l’Etat défendeur à payer au Requérant la somme de 40 millions de Francs CFA pour le préjudice moral que lui-même a subi. Elle a aussi condamné l’Etat défendeur à payer à l’épouse du Requérant la somme de 2 millions de francs CFA et à chacun des 3 enfants la somme de d’1 million Francs CFA en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi. Sur les mesures non pécuniaires, la Cour a ordonné à l’Etat défendeur de publier l’arrêt sur le site web du Gouvernement, du Ministère de la justice et de celui de la Cour suprême pour une période d’au moins 1 an. 

Jugement-du-02-12-2021.pdf

Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’infomation, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.