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Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith vs République de Tunisie

Le 21 Octobre 2021, M. Ibrahim Ben Mohamed Ben Ibrahim Belguith (le Requérant) a déposé une requête introductive d’instance contre la République de Tunisie (l’Etat défendeur) devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Cour ou la CADHP) pour des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 1 à 5, 7, 11, 13 à 15 et 20.

Le Requérant allègue que le Président de l’État défendeur a abrogé la Constitution, interrompu le processus démocratique et s’est arrogé davantage de pouvoirs en promulguant 5 décrets présidentiels portant cessation de fonction du chef du gouvernement et du gouvernement, suspendant les compétences de l’Assemblée des représentants du Peuple, levant l’immunité parlementaire jusqu’à nouvel ordre et nommant un nouveau gouvernement.

De manière liminaire, la Tunisie a soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête. Après examen des moyens présentés, la Cour a conclu à la recevabilité de l’affaire et s’est déclarée compétente pour en connaître. Elle s’est ensuite tournée sur le fond de l’affaire.

S’agissant tout d’abord de la violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue (article 7 de la Charte), le Requérant allègue que l’un des décrets pris précise que les décrets pris par le Président de la République ne sont pas susceptibles de recours. Il ajoute que l’organisation de la justice et de la magistrature se fait désormais par ces décrets, ce qui serait contraire à la Constitution et aux engagements internationaux pris par la Tunisie. L’Etat défendeur n’a pas conclu sur ce point. La Cour souligne que l’article 7(1)(a) de la Charte indique clairement que l’existence d’une juridiction compétente est une condition sine qua non à la jouissance du droit à ce que sa cause soit entendue, y compris le droit d’appel. Cette juridiction doit exister de jure (en droit) et de facto (en fait). Or en l’espèce, la Cour constitutionnelle n’était pas encore opérationnelle. La Cour relève qu’il n’existait pas non plus, dans l’État défendeur, d’autre juridiction ou autorité susceptible de statuer sur les litiges constitutionnels relatifs aux compétences du Président. Le Requérant n’a pas été en mesure de contester la constitutionnalité des décrets présidentiels, ce qui constitue une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue.

S’agissant ensuite de la violation alléguée du droit du peuple à l’autodétermination et du droit de participer à la direction des affaires publiques (article 20 de la Charte), le Requérant soutient que ces droits ont cependant été violés par les décrets présidentiels. Ainsi, une simple décision prise par une personne qui est le président de la République, constitue une menace et une atteinte grave aux droits et libertés, surtout en l’absence de toute autorité de contrôle ou de contre-pouvoir et en l’absence d’un péril imminent. L’Etat défendeur n’a pas répondu sur ce point. La Cour a circonscrit son appréciation à l’allégation relative au droit de participer à la direction des affaires publiques au regard de la nature des arguments du requérant et ne juge pas nécessaire d’examiner l’allégation relative à la violation du droit à l’autodétermination. La Cour relève qu’aucun élément du dossier ne montre que les conditions de fond, à savoir la présence d’un péril imminent menaçant les institutions de la nation ou la sécurité et l’indépendance du pays, et les exigences procédurales susmentionnées, étaient réunies avant que le président ne promulgue les décrets en question, limitant les pouvoirs des autres institutions. Les mesures restrictives prises par l’État défendeur n’ont pas été adoptées conformément à la loi et n’étaient pas non plus proportionnées à l’objectif visé, ce qui serait une violation du droit de participer à la direction des affaires publiques.

S’agissant enfin de la violation alléguée du droit aux garanties des droits de l’homme (article 1 de la Charte), la Cour affirme que dans la mesure où le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue et le droit de participer à la direction des affaires publiques ont été violés, il s’ensuit que l’article 1 de la Charte a nécessairement été violé.

La Cour ordonne donc à l’Etat Tunisien d’abroger les décrets susmentionnés et d’assurer l’opérationnalisation de la Cour Constitutionnelle. 

Jugement du 22-09-2022.pdf

Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.