Gozbert Henerico vs République Unie de Tanzanie
Le 15 Septembre 2016, M. Gozbert Henerico, requérant, a déposé une requête introductive d’instance devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) pour des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 4, 5 et 7.
M. Henerico avait été jugé et condamné pour le crime de meurtre devant la Haute Cour de Tanzanie, siégeant à Bukoba, le 22 Avril 2015, sentence confirmée par la Cour d’appel le 26 Février 2016. Au moment du dépôt de la requête introductive d’instance, il était incarcéré à la prison centrale de Butimba et attendait l’exécution de la peine de mort prononcée à son encontre.
Le requérant n’a pas demandé de mesures provisoires. Cependant, la Cour a appliqué les articles 27(2) du Protocole et 51(1) de son Règlement Intérieur et a conclu qu’en l’espèce, les circonstances d’extrême gravité, d’urgence et le risque de dommage irréparable justifiaient la prise de telles mesures. Dans son ordonnance en date du 18 Novembre 2016, la Cour a ordonné à l’Etat défendeur de surseoir à appliquer la sentence de peine capitale prononcée à l’encontre de M. Henerico, en précisant que cette décision ne préjugeait en rien de sa décision sur le fond de l’affaire.
Ordonnance du 18-11-2016.pdfLe 21 Novembre 2019, la République de Tanzanie a déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. En rendant sa décision le 10 Janvier 2022, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration.
De manière liminaire, la Tanzanie a soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête. Après examen des moyens présentés, la Cour a conclu à la recevabilité de l’affaire et s’est déclarée compétente pour en connaître. Elle s’est ensuite tournée sur le fond de l’affaire:
- S’agissant tout d’abord de la violation alléguée par le requérant de son droit à un procès équitable, protégé à l’article 7(1) de la Charte, il soutient notamment que:
- Son droit d’être jugé dans un délai raisonnable (art. 7(1)(d) de la Charte) a été bafoué: le requérant soutient qu’il a du attendre 6 ans, 8 mois et 19 jours avant d’être jugé par une juridiction nationale. Après examen des faits de l’espèce, la Cour a conclu que rien dans le dossier ne justifiait une telle longueur de procédure. Dès lors, la Cour a affirmé que la Tanzanie avait violé les dispositions de l’article 7(1)(d) de la Charte;
- Son droit à avoir une représentation juridique efficace (art. 7(1)(c) de la Charte) n’a pas été respecté: le requérant affirme n’avoir eu que très peu de contact direct avec ses conseils tout au long de la procédure et n’avoir pas donné son consentement sur la manière dont il était représenté. Au regard des documents soumis, la Cour s’est rangée à l’avis de la Tanzanie lorsqu’elle affirmait que M. Henerico avait reçu une assistance judiciaire gratuite, qu’il avait eu au total 4 avocats différents et que chacun d’eux avait eu la latitude d’entrer en contact avec lui. Dès lors, la CADHP n’a trouvé aucune violation par la Tanzanie en l’espèce;
- Son droit d’être jugé par un Tribunal compétent (art 7(1) de la Charte) a été violé: la Cour a conclu que rien ne permettait de juger que les Tribunaux nationaux n’étaient pas compétents pour connaître de l’affaire. Cette branche du moyen n’a donc pas pu prospérer;
- Son droit à bénéficier d’un interprète (art. 7(1)(c) de la Charte, lu en conjonction avec l’article 14(3)(a) du Pacte International des Droits Civils et Politiques) n’a pas été respecté: là encore, après examen des documents soumis, la Cour n’a pas été convaincue par les affirmations du requérant et n’a donc pas pu conclure à une violation quelconque des dispositions précitées.
- S’agissant de la violation alléguée du droit à la vie (art. 4 de la Charte), le requérant prétend que l’imposition systématique de la peine capitale pour les crimes jugés les plus graves (art. 197 du Code Pénal Tanzanien) ne permet pas aux juges de prendre en compte les circonstances particulières de chaque espèce et d’adapter les peines encourues. La Cour confirme ici sa jurisprudence constante en la matière et affirme que l’article 197 du Code Pénal Tanzanien doit être aboli.
- S’agissant enfin de la violation alléguée par le requérant de son droit à la dignité (art. 5 de la Charte), la Cour a rappelé sa jurisprudence constante voulant que toute exécution par pendaison constituait un violation du droit à la dignité.
La CADHP a attribué 5 millions de Shillings Tanzaniens au requérant pour compensation du préjudice moral subi et a enjoint l’Etat défendeur à rouvrir la procédure devant les autorités nationales.
Jugement du 10-01-2022.pdfCe résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.