Bernard Anbataayela Mornah vs République du Bénin et al.
Le 31 Octobre 2018, M. Bernard Anbataayela (le requérant) a déposé une requête introductive d’instance contre les Etats du Bénin, Burkina Faso, Cote d’Ivoire, Ghana, Mali, Malawi, Tanzanie et Tunisie (ensemble les Etats défendeurs) devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Cour ou la CADHP) pour des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 1, 2, 7, 13, 19 à 24 ainsi que d’autres instruments internationaux.
Le requérant allègue les violations des droits de l’homme du peuple sahraoui du fait du manquement des États défendeurs à sauvegarder l’intégrité territoriale et l’indépendance de la République Arabe Sahraouie Démocratique suite à l’occupation territoriale du Sahara Occidental, membre de l’Union Africaine (UA) par le Maroc. Le royaume chérifien après être volontairement sorti de l’Organisation dans les années 1980 avait redemandé son adhésion à l’UA en 2017, laquelle avait été acceptée par la conférence des Etats, nonobstant le fait que le Maroc n’a pas produit la moindre preuve de son intention de renoncer à son occupation du Sahara occidental.
Les Républiques du Bénin, de la Cote d’Ivoire et de la Tanzanie ont déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. Cependant, en rendant sa décision le 22 Septembre 2022, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration.
La République de Maurice et la République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD) ont déposé des requêtes d’intervention dans l’affaire et par deux ordonnances du 25 Septembre 2020, la Cour a fait droit à ces demandes.
De manière liminaire, les Etats défendeurs ont soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête. Après examen des moyens présentés, la Cour a conclu à la recevabilité de l’affaire et s’est déclarée compétente pour en connaître. Elle s’est ensuite tournée sur le fond de l’affaire.
Le requérant soutient que l’adhésion du Maroc à l’UA s’est faite au mépris de l’obligation individuelle et collective de ces Etats de défendre la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance du Sahara Occidental qui est déjà membre de l’Union Africaine. Il affirme plus précisément que cette entrée viole les droits du peuple du Sahara Occidental à l’autodétermination, à ne pas subir de discrimination, à un procès équitable, à participer à des activités politiques ; à l’égalité de tous les peuples, à la paix, à un environnement satisfaisant, à disposer de ses richesses et de ses ressources naturelles, et au développement économique, social et culturel du peuple du Sahara Occidental. Le requérant affirme que les Etats défendeurs ont l’obligation d’être le “gardien de son frère”.
Le Burkina Faso, la Cote d’Ivoire, le Mali, la Tunisie et la Tanzanie ont rétorqué qu’ils ne sont pas responsables d’une décision prise par l’UA et qu’ils n’ont pas le pouvoir de s’ingérer dans les affaires opposant des États souverains. Selon eux, les violations qui auraient été commises ne relèvent pas de leur propre juridiction. Les Etats intervenants ont conclu que le droit à l’autodétermination est un droit fondamental de l’homme et une norme impérative du droit international qui impose une obligation erga omnes à tous les États d’en assurer le respect.
Après examen des conclusions de toutes les parties, la Cour a conclu que la question juridique fondamentale en l’espèce porte essentiellement sur le droit à l’autodétermination auquel se rapporte en particulier le droit du peuple sahraoui d’obtenir une assistance dans sa lutte pour se libérer de l’occupation étrangère. La CADHP rappelle que la notion d’autodétermination a une forte résonance en Afrique et revêt une signification particulière et profonde pour son peuple. L’autodétermination comprend une obligation positive à savoir le devoir de protéger, de promouvoir et de créer les conditions nécessaires à la jouissance du droit, ainsi qu’une obligation négative à savoir le devoir de respecter le droit, c’est-à-dire de s’abstenir de commettre des actes ou de prendre des mesures qui empêchent les personnes de jouir pleinement de leur droit à l’autodétermination. En droit international, le droit à l’autodétermination a acquis le statut de jus cogens ou de norme impérative, générant ainsi l’obligation corollaire erga omnes pour tous les États. Ainsi, aucune dérogation n’est applicable à ce droit et « tous les États ont un intérêt
juridique à protéger ce droit ».
La Cour relève que l’ONU et l’UA reconnaissent la situation de la RASD comme une situation d’occupation et considèrent le territoire de celle-ci comme l’un des territoires dont le processus de décolonisation n’est pas encore totalement achevé. La CADHP note que la Cour Internationale de Justice a aussi conclu dans un avis consultatif qu’ aucun élément ne permettait d’établir un quelconque lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental et le Maroc. Par conséquent, la souveraineté de la RASD sur le territoire occupé est un fait établi dont la Cour doit tenir compte dans son appréciation de la présente Requête. La Cour souligne que l’occupation continue de la RASD par le Maroc est incompatible avec le droit à l’autodétermination du peuple de la RASD, tel que consacré par l’article 20 de la Charte, et constitue une violation de ce droit mais que les États défendeurs n’ont pas, à titre individuel ou collectif, violé le droit à l’autodétermination du peuple de la RASD garanti par les articles 20 de la Charte. Cependant, la Cour réaffirme la nécessité pour tous les États membres de l’UA, en vertu du droit international, de trouver une solution permanente à l’occupation, d’assurer la jouissance du droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination et de ne rien faire qui puisse reconnaître cette occupation comme légale ou entraver la jouissance de ce droit.
Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.