Martine Christian Msuguri vs République Unie de Tanzanie
Le 09 Septembre 2016, M. Martine Christian Msuguri (le requérant) a déposé une requête introductive d’instance devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Cour ou la CADHP) contre la République Unie de Tanzanie (l’Etat défendeur) pour des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 4, 5 et 7.
M. Martine Christian Msuguri avait été arrêté pour les meurtres de 3 enfants dans le village de Businde le 18 Décembre 2003, alors qu’il était soldat et formateur d’une branche de défense du peuple Tanzanien. Il avait été jugé et reconnu coupable par la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Bukoba. Il avait été condamné à la peine capitale par pendaison. Cette décision avait été confirmée par la Cour d’appel les 11 Mars 2013 et 14 Décembre 2018. Au moment de l’introduction de la présente instance, il était incarcéré à la prison centrale de Butimba dans l’attente de son exécution.
Bien que le requérant n’ait pas demandé de mesures provisoires, la Cour a considéré que le risque d’exécution de sa peine relève d’une situation d’une extrême gravité, ainsi qu’un risque de dommages irréparables. En conséquence, la Cour considère que les circonstances de l’espèce justifient une ordonnance portant mesures provisoires, afin de préserver le statut quo en attendant la décision sur la requête principale.
Le 21 Novembre 2019, la République de Tanzanie a déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. En rendant sa décision le 01 Décembre 2022, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration.
De manière liminaire, la Tanzanie a soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête. Après examen des moyens présentés, la Cour a conclu à la recevabilité de l’affaire et s’est déclarée compétente pour en connaître. Elle s’est ensuite tournée sur le fond de l’affaire.
- S’agissant tout d’abord de la violation alléguée du droit à la vie (article 4 de la Charte), Le Requérant fait valoir que la peine de mort obligatoire viole le droit à la vie, car elle porte atteinte au droit à un processus de fixation de peine individualisé dans la mesure où elle ne tient pas compte des circonstances propres à la fois au contrevenant et à la commission de l’infraction, telles que les déficiences mentales, comme c’est le cas en l’espèce. En effet, le requérant note qu’il a soumis un rapport d’évaluation psychiatrique qui a été écartée par les juges Tanzaniens. L’Etat défendeur rétorque que les juridictions nationales ont examiné toutes les pièces produites et ont conclu au delà de tout doute raisonnable que la défense de déficience mentale ne pouvait prospérer. La Cour note que la question à trancher se résume aux circonstances particulières de cette affaire, à savoir si le droit à la vie du Requérant a été violé du fait que les tribunaux nationaux n’ont pas pris en compte lors de sa condamnation à mort, tous les aspects de l’aliénation mentale invoqué comme moyen de défense. Après examen, la CADHP conclu que tous les moyens de défense ont bel et bien été examinés mais que le fait que la peine de mort soit la seule sanction prévue par la Code Pénal Tanzanien pour le crime de meurtre constitue une violation de l’article 4 de la Charte.
- S’agissant ensuite de la violation alléguée à un procès équitable (article 7 de la Charte), Le Requérant allègue que son droit à un procès équitable a été violé en raison du temps qu’il a passé en détention dans l’attente de son procès et du fait qu’il n’a pas bénéficié d’une représentation judiciaire au cours de la procédure. L’Etat défendeur n’a pas répondu sur ces points. Après examen la Cour a conclu que 6 années se sont écoulées entre l’arrestation du Requérant et son jugement, la Tanzanie n’ayant pas fourni d’éléments justificatifs pour expliquer ce délai, elle n’ a pas respecté l’obligation de juger le requérant dans un délai raisonnable. La Cour a cependant rejeté la branche de moyen du requérant concernant une représentation judiciaire non effective.
- S’agissant enfin de la violation alléguée du droit à la dignité et à ne pas subir des traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 5 de la Charte), le Requérant allègue que son droit protégé par cette disposition de la Charte a été violé du fait qu’il a été maintenu en détention préventive pendant plus de six (6) ans dans le couloir de la mort et vécu dans des conditions de confinement déplorables. La Cour a souligné le lien de causalité entre ce retard et les souffrances que le Requérant allègue avoir éprouvé. Par conséquent, la Cour estime que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à ne pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant, protégé par l’article 5 de la Charte, en ce qui concerne la durée de la détention provisoire.
La Cour a accordé au Requérant la somme de 7 000 000 de shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral découlant des violations constatées en franchise d’impôt dans un délai de 6 mois et ordonne à l’Etat de prendre toutes les mesures disponibles pour organiser un nouveau procès pour juger à nouveau l’affaire en ce qui concerne la condamnation du Requérant par le biais d’une procédure qui n’admet pas l’imposition obligatoire de la peine de mort.
Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.