Ghati Mwita vs République Unie de Tanzanie
Le 24 Avril 2019, Mme. Ghati Mwita (la Requérante) a déposé une requête introductive d’instance contre la République Unie de Tanzanie (l’Etat défendeur) devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Cour ou la CADHP) pour des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 4, 7 et 20.
Mme Ghati Mwita avait été accusée d’avoir aspergé de kérozène avant d’immoler par le feu un pêcheur qui aurait commis un vol le 04 Février 2008. La victime était décédée suite à ses blessures. Le même jour, elle avait été arrêtée et mise en accusation devant la Haute Cour siégeant à Mwanza. Dans sa décision du 19 Septembre 2011, la Haute Cour a déclaré la Requérante coupable de meurtre et l’a condamnée à mort par pendaison. Cette décision avait été confirmée par la Cour d’appel le 11 Mars 2013 et le 19 Mars 2015. Au moment du dépôt de cette requête, la requérant était incarcérée à la prison centrale de Butimba.
Elle a accompagné sa requête introductive d’instance d’une demande en indication de mesures provisoires tendant à la suspension de l’exécution de ce jugement tant que la CADHP ne s’était pas prononcée sur le fond de l’affaire.
Le 21 Novembre 2019, la République de Tanzanie a déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. En rendant sa décision le 01 Décembre 2022, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration.
La Cour a rendu son ordonnance sur ce dernier point le 09 Avril 2020. Elle a tout d’abord vérifié qu’elle a compétence prima facie pour se prononcer sur l’affaire conformément à l’article 3(1) du Protocole de la Cour:
- La Tanzanie est partie à la Charte et au Protocole de la Cour et a déposé la déclaration permettant aux individus et ONG de déposer des requêtes devant la Cour. Le 21 Novembre 2019, la République de Tanzanie a déposé les instruments de retrait de la déclaration de compétence de la Cour de recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. En rendant sa décision le 01 Décembre 2022, la Cour a été fidèle à sa jurisprudence constante de traiter toutes les affaires enrôlées au greffe avant la date d’entrée en vigueur du retrait de la déclaration. Elle a donc procédé à l’examen des autres conditions de validité de sa compétence;
- Les violations alléguées par les Requérants concernent des droits protégés dans des instruments auxquels l’Etat défendeur est partie.
La Cour conclut donc qu’elle a compétence prima facie pour connaître de cette affaire et elle s’est aussi assurée de la recevabilité de la requête. Après avoir satisfait à ces conditions, elle a enjoint à l’Etat défendeur de surseoir à l’exécution de la requérante jusqu’à ce qu’elle se prononce sur le fond de l’affaire.
Ordonnance du 09-04-2020.pdfDe manière liminaire, la Tanzanie a soulevé des exceptions d’incompétence et d’irrecevabilité de la requête. Après examen des moyens présentés, la Cour a conclu à la recevabilité de l’affaire et s’est déclarée compétente pour en connaître. Elle s’est ensuite tournée sur le fond de l’affaire.
- S’agissant tout d’abord de la violation alléguée du droit à la vie (article 4 de la Charte): la Requérante affirme que les juridictions tanzaniennes ont prononcé la peine de mort à son encontre sans tenir compte des circonstances de l’espèce, alors que cette sanction ne doit être réservée que pour “les crimes les plus odieux et les plus rares”. Elle ajoute que le fait que les juges nationaux n’aient pas de pouvoir discrétionnaire en matière d’imposition de la peine de mort est contraire aux disposition de la Charte. La Tanzanie rétorque que d’une part les ,juridictions nationales ont pris en compte tous les éléments du dossier avant de rendre une décision qui a été confirmée par la juridiction supérieure. D’autre part, l’Etat défendeur affirme que le prononcé de la peine de mort est conforme à la législation nationale, laquelle respecte les engagements internationaux pris par l’Etat. Après examen des moyens présentés, la Cour conclut sur la première branche de moyen qu’il n’existe ni déni de justice ni erreur matérielle. S’agissant de la seconde branche de moyen, la Cour conclut que l’obligation de prononcer la peine de mort dans les cas de meurtres sans prendre en compte les circonstances atténuantes de l’espèce constitue une violation du droit à la vie consacré à l’article 4 de la Charte.
- S’agissant ensuite de la violation alléguée du droit à la dignité (article 5 de la Charte): la requérante soutient qu’elle souffre de troubles dépressifs qui ont été exacerbés par l’attente dans le “couloir de la mort” au point d’être maintenant considérés comme une torture psychologique. L’Etat défendeur rétorque que la requérante n’a présenté aucun élément supportant son diagnostic devant les juridictions nationales. La Cour a donné raison à la Tanzanie et a donc rejeté ce moyen. La Requérante soutient aussi que le mode d’exécution par pendaison est “dégradante par nature et porte atteinte à […] la dignité, eu égard à l’interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants”. La Cour note que la décision définitive prononcée à l’encontre de la requérante date du 19 Mars 2015 et que cela fait donc 7 ans que cette dernière attend son exécution. Une telle durée a inévitablement causé un degré de souffrance portant atteinte à la dignité de sa personne, ce qui est une violation de l’article 5 de la Charte.
- S’agissant encore de la violation du droit à un procès équitable (article 7 de la Charte), la requérant affirme que la période qui s’est écoulée entre son arrestation et son jugement a été étendue de manière injustifiée, ce que la Tanzanie conteste. La Cour note que la période de 2 ans et 9 mois qui s’est écoulée entre l’arrestation de la Requérante et l’ouverture de son procès constitue un retard injustifié de la procédure et donc une violation de l’article 7.1.(d) de la Charte. Cependant, les 9 mois et 16 jours qu’il a fallu pour finaliser la procédure en première instance ne sont pas disproportionnés par rapport à la procédure. Elle a par la suite rejeté les conclusion de la requérante sur les branches de moyens relatif à la présomption du principe d’innocence, la partialité des juridictions à son encontre, le manque de preuve au delà de tout doute raisonnable et le droit à une représentation efficace.
Dans la mesure où la Cour a jugé que la Tanzanie avait violé certaines dispositions des articles 4, 5 et 7 de la Charte, il s’ensuit que l’Etat défendeur a aussi violé l’article 1er de celle-ci. Il est tenu de verser à la Requérante la somme de 7 millions de Shillings Tanzaniens au titre du préjudice moral subi par cette dernière et doit sous un délai d’un an prendre toutes les mesures nécessaires pour juger de nouveau la requérante en ce qui concerne la condamnation de la Requérante par le biais d’une procédure qui ne permet pas l’imposition obligatoire de la peine de mort et maintient la discrétion de l’officier de justice.
Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’information, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.