Affaire Ghaby Kodeih vs République du Bénin
Le 14 Février 2020, M. Ghaby Kodeih a déposé une requête introductive d’instance contre la République du Bénin concernant des violations alléguées de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte) en ses articles 7-1(a), 7-1(d) et 14. En effet, il affirme qu’une procédure de saisie portant sur un immeuble appartenant à la société SHRL dont il est l’unique associé a été engagée par la Société Générale du Bénin (SGB). Ladite banque faisait partie d’un consortium ayant prêté à la société SHRL une importante somme qui devait servir à la construction d’un hôtel. La convention de crédit avait été matérialisée par actes notarié initialement signé par toutes les parties concernées les 13 Novembre et 16 Décembre 2014. Un avenant à cet acte avait été conclu lequel portait hypothèque sur un immeuble non bâti de la société emprunteuse d’une surface d’un hectare 54 ares et 34 centiares.
Le requérant soutient que suite à des complications, la SGB avait dénoncé unilatéralement la convention et demandé le remboursement d’une partie de la somme par commandement de payer aux fins de saisie immobilière. Elle avait de plus entamé des actions devant la justice béninoise afin de faire vendre l’immeuble objet de la saisie. Par jugement en date du 19 Décembre 2019, le Tribunal de Commerce de Cotonou a accédé à cette requête. Le 30 Janvier 2020, le Tribunal a prononcé l’adjudication de l’immeuble de la SHRL au profit de la SGB pour le montant de la mise à prix.
M. Kodeih soutient que le jugement de Décembre 2019 rendu en dernier ressort contrevient à l’Acte Uniforme relatif aux Procédures Simplifiées de Recouvrement et Voies d’Exécution (AU-PSRVE) dans la mesure où les voies de recours ne seraient pas totalement épuisées. En lui niant le droit de faire appel de cette décision, l’Etat Béninois aurait violé les droits de M. Kodeih protégés par la Charte et justifiant ainsi la saisine de la Cour.
Le requérant avait déposé en même temps que la requête initiale une demande en indication de mesures provisoires tendant à sursoeir à toute mesure de mutation de titre foncier et de dépossession de l’immeuble objet du différend avant que la Cour ne se prononce sur le fond de l’affaire.
La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples s’est prononcée sur ces points dans son Ordonnance du 28 Février 2020. Elle a rappelé qu’elle ne pouvait ordonner des mesures provisoires que lorsque les conditions contenues dans l’article 27(2) du Protocole portant création de la Cour étaient réunies. Après examen des faits, elle a conclu que la situation revêtait bel et bien les caractères d’urgence ou d’extrême gravité et de risque de dommages irréparables à la personne et a décidé que la justice Béninoise ne pouvait procéder à l’adjudication de l’immeuble hypothéqué tant que la Cour n’avait pas rendu son jugement sur le fond.
Le 25 Mars 2020, la République du Bénin a retiré la Déclaration en vertu de laquelle le Bénin acceptait la compétence de la Cour pour connaître des affaires déposées par les particuliers et les organisations non Gouvernementales. Il se posait donc une question pour toutes les affaires en cours.
Dans son jugement du 30 Septembre 2021, la Cour a précisé que ce retrait n’avait aucune incidence sur les affaires pendantes et ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant l’entrée en vigueur dudit retrait, soit le 26 Mars 2021. Elle a ensuite vérifié sa compétence pour se prononcer sur ce différend et conclu qu’elle pouvait bel et bien rendre un jugement. Elle a ensuite examiné l’exception d’irrecevabilité de la requête soulevée par le Bénin.
L’Etat défendeur soutient en effet que le requérant n’avait pas épuisé tous les recours internes, ce qui était une condition préalable à la saisine de la Cour (article 50 (2) (e) du Règlement de la Cour) dans la mesure où M. Kodeih avait introduit un appel devant la Cour d’appel de Cotonou le 31 Décembre 2019 et un recours devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) le 26 Février 2020. Sans attendre le sort réservé à ces procédures, le requérant avait saisi la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. M. Kodeih a répliqué que le manque d’indépendance du Conseil Supérieur de la Magistrature le laissait peu confiant quant à l’impartialité de la procédure et que le recours devant la CCJA n’était pas un recours interne au sens de l’article 50 (2)(e) du Règlement de la Cour.
Cette dernière a conclu que le recours devant la cour d’appel de Cotonou ne revetait pas d’importance en l’espèce. Cependant, la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples note qu’elle a été saisie quelques jours avant que M. Kodeih n’introduise son recours devant la CCJA. Dans ces conditions, le requérant aurait dû attendre que la CCJA rende son jugement avant d’entamer une nouvelle procédure. De plus, l’action devant la CCJA répondait aux conditions listées par l’article 50(2)(e). Il s’agit bel et bien d’un recours interne, ordinaire et efficace. Partant, la requête de M. Kodeih est irrecevable devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples pour cause de non-épuisement des voies de recours internes.
Ce résumé des faits de l’espèce et de la procédure est uniquement proposé à des fins d’infomation, n’engage en rien Dome et ne saurait remplacer la lecture attentive des jugements et ordonnances de l’affaire.